Petit chimiste recherche... produits chimiques
Destiné aux plus de 8 ans, il respecte en outre la sécurité des jeunes utilisateurs : il est garanti sans danger car… sans produits chimiques.
En peu de temps, notre communauté prend connaissance de « l’affaire ». Dès lors, on ne compte plus les messages sarcastiques, les commentaires goguenards, les haussements d’épaule et les yeux levés au ciel. « Faut-il être stupide pour imaginer possible de faire de la chimie sans produits chimiques… »
Essayons toutefois d’analyser l’anecdote en imaginant, pour une fois, que les concepteurs du coffret, pour ne pas être chimistes, ne sont peut-être pas pour autant des imbéciles heureux. Si l’expression est comique, qu’ont-ils toutefois réellement voulu dire et par quoi auraient-ils pu la remplacer ? Assurément, c’est la notion de danger qui est ici mise en exergue, et l’on constate en effet que les deux seules substances fournies dans la boîte sont l’inoffensif bicarbonate de sodium et le glycérol commun. Le slogan ne précise-t-il pas : « Avec des produits ménagers » ? « Sans produits chimiques » doit donc être entendu comme « Sans substances dangereuses ». L’observation est récurrente : le non-chimiste emploie le terme produit chimique à la place de substance dangereuse. Pourquoi ?
Voici une piste. Le non-chimiste est aussi un ex-élève. Lorsqu’il a appris la chimie, on lui a donné accès aux transformations de la matière. Cette dernière tend spontanément à évoluer vers des états de plus grande stabilité : on utilise donc, pour la perturber, des conditions expérimentales sévères ou des substances réactives. Les substances réactives étant rares dans la nature, elles sont le plus souvent synthétiques. Or c’est bien dans ces deux termes, réactif et synthétique, que réside l’essentiel de la définition du produit chimique qu’on a fourni à notre ex-élève [i].
Que faut-il donc lire dans le slogan apposé naïvement, et certes maladroitement, sur ce coffret de chimie ? La garantie qu’il ne contient aucune substance exagérément réactive, ni aucun produit de synthèse dont on risquerait de ne pas maîtriser tous les effets [ii]. S’il ne faut donc voir, dans cette maladresse, que l’emploi d’un terme inapproprié, était-il légitime de s’en offusquer de la sorte ? Probablement pas. Au contraire, envisager ce cas avec un peu plus de distance nous aurait peut-être permis de réagir contre ce qu’il avait de réellement délétère…
Ainsi donc, ne nécessiter la seule mise en œuvre de produits ménagers serait, pour ce coffret, une garantie (et même un argument) de sécurité. Or n’est-il pas dans notre mission de chimistes « connaissants » de prévenir nos enfants que, justement parce qu’ils sont pour la plupart synthétiques et réactifs, les produits ménagers sont souvent des produits chimiques dangereux ? Le scandale que représente ce coffret, si scandale il y a, n’était pas de confondre produit chimique avec produit dangereux, mais produit ménager avec produit domestique. On ne peut que regretter que notre mission de « gardiens du temple » de la Chimie nous ait trop aveuglés pour nous empêcher d’immédiatement réagir en ce sens.
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[i] Qu’ensuite les chimistes, par désir d’affirmer l’étendue de leur champ disciplinaire, décident de qualifier toute substance, fût-elle naturelle et inerte, du qualificatif de « chimique » ne change rien à l’affaire. L’histoire de ce que nous nommons le « rapt épistémologique » des chimistes est d’ailleurs une problématique à part entière, que nous conterons dans une prochaine chronique.
[ii] Car c’est bien de là que provient la « peur du synthétique » (et les exemples ne manquent pas, ces dernières décennies, pour la conforter), qui elle-même renforce l’émergence des valeurs naturalistes* dans notre société.
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