samedi 22 janvier 2011

Breaking Bad

Depuis longtemps déjà, sur ce blog, nous mettons en doute la pertinence de fonder la communication de la chimie sur la question de son image. A mainte reprise en particulier, nous avons tenté de montrer que le prosélytisme chimique ne pouvait constituer une communication responsable et crédible : nos concitoyens ont l’oreille de plus en plus affûtée pour déceler les tentatives de manipulation de leur opinion et, non seulement ils ne s’en laissent plus compter sans esprit critique, mais ils sont désormais capables de trouver seuls ce qu’on leur cache, éventuellement avec l’aide de protagonistes plus ou moins intégristes qui se retrouvent alors les seuls à parler des sujets qui fâchent.

C’est donc aux chimistes de parler des risques industriels ou des perturbateurs endocriniens, des dangers liés à la manipulation des réactifs chimiques, de l’importance de la chimie dans l’élaboration de nouvelles drogues et produits dopants, et d’assumer ouvertement les incertitudes qui pèsent sur les éventuels usages malveillants qui pourront être faits de toutes leurs découvertes. Et peu importe que cela risque de « ternir l’image de la chimie » ; ne pas en parler risque de la ternir plus encore.

Il reste d’ailleurs à prouver que l’évocation de ces sujets détourne réellement les jeunes de notre discipline, pour ne citer que cet aspect des enjeux de sa communication (la désaffection pour la chimie). Les deux exemples suivants viennent appuyer cette interrogation.

Il y a quelques temps, nous assistions à une réunion de chimistes destinée à organiser des conférences expérimentales dans le cadre de l’année internationale de la chimie. Un collègue suisse y proposa une conférence qu’il considérait particulièrement importante dans la formation de ses étudiants : « L’explosion chimique maîtrisée, en situation de sécurité ». Immédiatement la proposition fut balayée : Vous rendez-vous compte ! « Les gens » vont repartir chez eux en se disant : « Tu as vu ? La chimie, c’est quand-même dangereux… ». On passa à une autre thématique, donnant l’assurance que la chimie serait présentée sous un meilleur jour.

Oui mais… Il est bien possible que « ces gens » se seraient dit le contraire s’ils avaient pu assister à cette conférence-là : Tu as vu ! Un bon chimiste peut manipuler des substances explosives sans danger ! C’est incroyable ! Gageons même qu’après avoir vu la conférence « chimiquement correcte » qui leur sera présentée à la place, certains iront jusqu’à se dire : Tu as vu ? Ils se sont bien gardés de nous montrer des trucs dangereux… Ils savent bien qu’ils ne maîtrisent pas tous les risques…

Personne ne va s’aventurer à cacher les dangers du saut en parachute. Mais on fait confiance à l’instructeur parce qu’il est extrêmement entraîné et possède des milliers de sauts à son actif. Pourquoi ne pourrait-il en être de même du chimiste ? Peut-être parce que l’instructeur de parachutisme ne semble pas avoir peur de parler de ces dangers, montrant ainsi qu’ils sont totalement sous contrôle…

Le second exemple est plus intéressant encore. Il y a quelques mois, une série télévisée intitulée Breaking Bad est apparue sur les écrans américains. Dans la veine de Numbers (mathématiques) [i] ou de The Big Bang Theory (physique) [iii], elle exploite toutes les caractéristiques d’une discipline scientifique particulière ; en l’occurrence pour Breaking Bad, la chimie. Enfin ! La chimie à l’honneur ! Une série télévisée de qualité pour elle toute seule ! Depuis le temps qu’on l’attendait !

Las, me direz-vous… le héros est bien un chimiste brillant qui, à l’instar de Primo Levi lors de son internement à Auschwitz, utilise sa science pour tenter de sauver sa vie ; mais on est catastrophé dès le premier épisode en se rendant compte que c’est en se lançant dans la synthèse d’amphétamines ultra pures qui se vendront à prix d’or sur le marché de la drogue. Et patatras… tous nos espoirs s’effondrent. Voilà la chimie une fois encore présentée sous son plus mauvais jour, et le chimiste exposé à la vindicte populaire sous les traits d’un criminel… Que vont penser nos jeunes ?

Figure 1 : La chimie "vraiment" sous son plus mauvais jour ?

C’est là qu’une fois encore, nous prenons le contrepied de ce désespoir. Et nous prétendons qu’il n’y a pas meilleur scénario pour donner envie aux jeunes de faire de la chimie. Pas de la drogue, de la chimie, oui ! Car ce que le héros de l’histoire parvient à réaliser, dans un domaine qui se trouve être celui de la drogue, est proprement extraordinaire. Qu’il soit un être humain ayant choisi une activité criminelle plutôt qu’une autre est son affaire et n’a rien à voir avec la chimie.
Il a d’ailleurs plutôt de bonnes raisons pour le faire et la suite des épisodes montrera en outre qu’il possède un caractère, des qualités humaines et une détermination propres à susciter l’admiration.

Oui, il utilisera quelques cristaux de fulminate de mercure pour faire exploser l’appartement d’un trafiquant malveillant du coin. Mais à ce moment-là, qu’est-ce qu’il aimerait être chimiste, l’adolescent obligé de subir les quolibets de ses copains parce qu’il n’a pas encore appris à se défendre verbalement ! La chimie lui donne alors une impression de puissance, de perfection, de sophistication extrême. Et s’il devenait chimiste, lui aussi ? Mais pour sauver le monde, bien sûr, pas pour faire de la drogue…

Cher lecteur assidu de ce blog et toujours pas convaincu par ce que nous y écrivons : procure-toi les épisodes des deux premières saisons de Breaking Bad, désormais disponibles en DVD en France, et prends le plaisir que nous y avons trouvé, tout en repensant à ce billet… pour ne pas te le gâcher en ruminant sur l’image de la chimie.


[i] http://fr.wikipedia.org/wiki/Numb3rs
[ii] http://fr.wikipedia.org/wiki/The_Big_Bang_Theory
[iii] http://fr.wikipedia.org/wiki/Breaking_Bad Walter White, professeur de chimie dans un lycée, vit avec son fils handicapé et sa femme enceinte au Nouveau Mexique. Lorsqu’on lui diagnostique un cancer du poumon en phase terminale, tout s’effondre. Il décide alors de mettre sa famille à l’abri du besoin en montant un laboratoire de méthamphétamine avec un de ses anciens élèves devenu trafiquant.

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3 commentaires:

Anonymous Anonyme a dit...

Ce ne sont pas des cristaux de "chlorate de quelque chose" que le personnage fabrique, mais de "fulminate de mercure", car justement ils peuvent être confondus avec les cristaux de méthamphétamines.
Lorsque l'on voit Walter White faisant ses leçons, on retrouve à 90% les mêmes anecdotes que celles que l'on peut entendre dans nos cours de chimie en France.
Tout du long, on sent que cette série a bien eu le conseil scientifique de véritables chimistes ! C'est pour cela qu'elle me plaît beaucoup : elle n'est pas construite n'importe comment et si l'on est un chimiste passionné, on ne peut que s'identifier au personnage !
(Un chimiste anonyme)

13 février 2011 à 03:27  
Anonymous muondo a dit...

j'ai toujours bien aimé la chime et regrette qu'elle ne soit davantage enseigné plus tot,il y a un dédain de la chimie au profit d'autres matières scientifique comme l'informatique,c'est dommage la chimie est tout aussi passionnante et interréssante.
un blog excellent incollable sur le sujet,bravo!

24 février 2011 à 15:09  
Anonymous Anonyme a dit...

Je trouve, comme le dit cette article, que le personnage principal, a ces raisons, et qu'il avant tout humain, que sont travail en tant que chimiste n'est pas quelque chose de nefaste qui l'entraine dans le vis, et a vivre dangereusement.
Dans le 1er episode, on voit qu'il aime enseigner aux autres sa science. mais si seulement 1 personne l'avait ecouter...

Walter white : La chimie, c'est la croissance, la désintégration, et la transformation, c'est tout simplement magique.

2 janvier 2012 à 00:19  

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