Eléments de philosophie de la chimie
Nous y étions présents, pour notre part, convaincus qu’il ne peut y avoir de bonne communication de la chimie sans bonne compréhension de la chimie : « de l’intérieur » bien sûr à travers ses pratiques et les connaissances qu’elle produit, mais également « de l’extérieur » par l’analyse de ses aspects non seulement épistémologiques et philosophiques, mais également historiques, sociologiques et didactiques.
Pourtant la philosophie de la chimie, en tant que discipline académique, est récente. En atteste la parution d’un ouvrage de synthèse paru en 2005 sous le titre : « Philosophy of Chemistry: Synthesis of a New Discipline » [vi], alors que l’International Society for the Philosophy of Chemistry [vii] n’a qu’une vingtaine d’années d’existence. Et si la francophonie compte quelques philosophes de la chimie, tels Bernadette Bensaude-Vincent ou Isabelle Stengers, les deux seules revues à comité de lecture de ce domaine sont américaine et allemande :
- Foundations of Chemistry, un journal d’histoire et de philosophie de la chimie traitant également de questions d’éducation, publié par Springer et dirigé par Eric Scerri.
- Hyle: International Journal for Philosophy of Chemistry, journal associé à l’Université de Karlsruhe et dirigé par Joaquin Schummer.
- La nature de la chimie. C’est une des questions les plus intéressantes pour le chimiste : qu’est-ce que la chimie ? Les tentatives pour la définir sont nombreuses et rarement satisfaisantes ; pour certains, c’est l’étude des substances, pour d’autres, celles des réactions. L’étude de la structure, des propriétés et des transformations de la matière pour les uns, l’étude des réarrangements atomiques pour les autres ; si la première définition semble englober une partie de la biologie et de la physique, la seconde est circulaire puisqu’elle s’appuie sur ses propres concepts pour se définir. Or les philosophes possèdent des outils qui permettent de préciser ce que les chimistes font vraiment lorsqu’ils font de la chimie.
- La chimie est-elle réductible à la physique quantique ? Une littérature fournie explore ce sujet en analysant les pratiques et la manière dont les chimistes construisent leurs théories, en lien avec les connaissances issues de la physique. Une question qui, comme celle de savoir si la biologie est réductible à la chimie, se résout partiellement en considérant la chimie est mieux caractérisée par ses pratiques et ses objectifs que par ses fondements épistémologiques.
- La chimie comme discipline paradigmatique de la science de laboratoire. La chimie est une science de laboratoire car les objets qu’elle étudie sont des objets créés ou rapportés au laboratoire. A cet égard, elle a développée une méthode expérimentale qui, pour les philosophes des sciences, constitue un bon modèle comparatif pour les autres sciences. Longtemps seule discipline à « créer son objet », selon les célèbres mots de Marcelin Berthelot, elle est désormais rejointe par la biologie synthétique et par les nanotechnologies ; la compréhension de ce rapport particulier de la chimie à son objet permet d’éclairer ceux qu’entretiennent ces nouvelles pratiques avec les leurs.
Figure 1 : Représentation de la classification périodique des éléments extraite du site de la Société internationale de philosophie de la chimie.
Telles sont quelques unes des questions dont débattent les philosophes chimistes et les chimistes philosophes lorsqu’ils se rencontrent ; des questions qui ne se réduisent pas aux interrogations métaphysiques sur l’origine de la dissymétrie des acides aminés dans le vivant, ou aux questions d’éthiques suscitées par la production de substances qui changent définitivement notre rapport au monde. Un article d’Eric Scerri dont nous conseillons par ailleurs la lecture donnait en 2000 une vision simple et claire des enjeux de cette discipline, sous le titre : Philosophy of Chemistry – A New Interdisciplinary Field ? [viii]Dans notre prochain billet, nous nous intéresserons plus particulièrement à la définition de la notion d’élément chimique, dont la compréhension pose des problèmes particulièrement complexes en termes de communication.
[i] www.crea.polytechnique.fr
[ii] www.crea.polytechnique.fr/LeCREA/ateliers.htm
[iii] Pépin, F. (2010) Diderot : la chimie comme modèle d’une philosophie expérimentale, La Découverte.[iv] Telkes-Klein, E. (2007) Émile Meyerson, de la chimie à la philosophie des sciences, Bulletin du Centre de recherche français de Jérusalem, 18, mis en ligne le 07/01/08, consulté le 20/09/10. http://bcrfj.revues.org/index112.html
[v] Andal, A. (1959) Gaston Milhaud (1858-1918), Revue d’histoire des sciences, XII, pp. 96-110.[vi] Baird, D. Scerri, E. McIntyre, L. (2005) Philosophy of Chemistry: Synthesis of a New Discipline (Boston Studies in the Philosophy of Science), Springer.
[vii] http://ispc.sas.upenn.edu/[viii] Journal of Chemical Education : http://tinyurl.com/34xa89s
Libellés : épistémologie, philosophie
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