samedi 20 mars 2010

L'EDD pour un bon usage de la science ?

Dans notre précédent billet, nous décrivions deux réseaux majeurs contribuant à l’éducation populaire et à la sensibilisation aux sciences et à l’environnement : l’AST (Animation Scientifique et Technique) et l’ERE (Education Relative à l’Environnement). Evoquant les rôles respectifs que la chimie pouvait prétendre y jouer, nous suggérions qu’elle pouvait à la fois servir leur rapprochement et bénéficier de cette place privilégiée pour se montrer plus responsable. Réexaminons les schémas que nous proposions alors.


Schémas fondateurs de l’ERE et de l’AST.

Côté ERE-DD, les intersections bilatérales des disques conduisent à différents types de développement mais aucun des trois disques ne mentionne la science et la technologie, alors que le nœud des problèmes environnementaux est souvent lié à ces dernières. Il est par suite impossible d’y faire figurer les deux courants extrêmes que nous identifiions alors : ceux des alternatifs alarmistes et des optimistes progressistes.
Côté AST-progrès, le schéma directeur est un peu différent : la science et la technique disent aux industriels et aux responsables politiques ce qu'il est possible de faire. Le marché dit, quant à lui, ce qui est souhaité, ce qui est attendu. Pendant très longtemps, le dialogue s'est déroulé exclusivement entre ces deux composantes mais, fort heureusement, ces vingt dernières années est apparu un troisième acteur : la société, qui s’exprime sur ce qu'il lui semble acceptable de réaliser. Pourtant, là non plus, le rapport à la Nature n’apparaît pas, alors que la science prétend en expliciter les lois et que la technologie l’influence et la modifie constamment. Les deux courants extrêmes de l’AST, ceux des positivistes scientistes et des relativistes prudents, n’y sont donc pas plus visibles que ceux de l’ERE.
La solution est pourtant évidente : c’est conjointement que les schémas doivent être lus. Sur la délicate question du rapport nature-science-société, elles se complètent pour conduire à une représentation qui tient cette fois compte de tous les aspects et nous montre comment, de manière très schématique, AST et ERE communiquent à travers leurs rapports à l’économie et la société, et directement entre science et nature.

Le rapprochement de l’ERE et de l’AST.

En matière d’éducation scientifique et de sensibilisation au développement durable, serait-il alors possible de penser des actions inscrites à la fois dans une ASTRE (Animation scientifique et technique relative à l’environnement) et une EREST (Education relative à l’environnement pour un bon usage de la science et de la technologie) ? C’est ce dont pourrait bien bénéficier le champ scientifique complexe de la chimie.

La fusion des deux schémas : vers une EREST et une ASTRE.

L’exemple de la chimie…
Si les chimistes ont bien compris l’intérêt d’appliquer leurs connaissances au traitement des questions environnementales, découvrant intuitivement l’intérêt de l’ASTRE, le concept d’EREST est plus difficile à faire accepter. Adapter une attitude plus responsable dans la communication de la chimie en favorisant son autocritique et sa désacralisation ne semble en effet pas exprimé par leurs gènes ; à cette idée, ils auraient même plutôt tendance à exprimer leur gêne…
Ce rapprochement que nous appelons de nos vœux n’est certes pas facile à aménager. La chimie est une discipline ancienne qui s’est de tous temps avérée fondamentale, de sorte qu’elle a gagné une véritable dimension patrimoniale. Sa communauté est structurée, concernée et corporatiste. A la fois discipline scientifique et industrie lourde, elle a subi des changements conceptuels majeurs au XXe siècle, accompagnés de bouleversements économiques liés à la structure de son industrie. Forcée à s’adapter aux évolutions de la demande sociétale, elle a su aménager ou accepter des évolutions salutaires telles que la chimie verte, la chimie durable, la procédure REACH… Pourtant, de multiples problèmes subsistent au niveau de l’ensemble des quatre pôles mis en correspondance dans la figure précédente :
  • Très appliquée, très liée à l’économie, elle trouve sa concrétisation dans la mise sur le marché de produits nouveaux, ce qui lui permet mal de s’en démarquer, de s’en autonomiser.
  • Son rapport à la nature est extrêmement fort et, sans jeu de mot, il est ainsi presque dans sa nature de s’y opposer, de la copier, de la supplanter, de se l’approprier même ; ce qui n’est pas sans heurter nombre de valeurs actuelles fortes et prégnantes.
  • Son rapport à la société est compliqué : développant la nostalgie d’un âge d’or où elle constituait une discipline scientifique reine, elle a des difficultés à admettre les accidents et les dérives, se focalisant plus sur son image que sur le dialogue avec la société. De fortes contradictions structurelles (telles que l’application de la procédure REACH face au développement de l’expérimentation animale qu’elle nécessite en retour) ne facilitent pas cette prise de recul et l’empêchent d’intégrer la question des valeurs dans les activités de médiation, comme le montre la très mauvaise réception qu’eut l’Appel de Paris auprès des chimistes.
  • Sur le plan éthique, enfin, la chimie constitue une discipline tellement multipolaire, regroupant une telle multitude d’acteurs aux activités et aux intérêts si différents, qu’il est difficile d’apporter des réponses concrètes communes aux enjeux de société qu’elle soulève.
Par suite, et l’observation le confirme, on est encore loin en ce domaine de l’application de l’EREST évoquée plus haut, même si des efforts manifestes accompagnés de résultats encourageants commencent à poindre dans les milieux de la culture scientifique et technique.

L’exemple des Atomes Crochus
Association fondée en 2002 par trois universitaires spécialisés en chimie et en sciences de l’éducation, Les Atomes Crochus ont commencé à développer des actions d’ERE et d’AST indépendamment les unes des autres. La promotion du DD et la sensibilisation à l’environnement d’une part, était assurée par des ateliers pour enfants, des contes et des conférences. La promotion de la culture scientifique et technique, d’autre part, était mise en œuvre à travers des activités originales telles que les clowns de science, les conférences expérimentales interactives ou les défis d’expériences contre-intuitives.

Puis, progressivement, les deux démarches commencèrent à s’interpénétrer. Le volet ERE fut peu à peu nourri par les approches scientifiques des problématiques du DD avec des conférences du type : « Est-ce que lorsque je respire, je pollue ? ». A l’inverse, des questions jusque là traitées selon des approches scientifiques exclusives nécessitèrent le recours à des outils empruntés à l’ERE : « Peut-on vraiment comparer les impacts environnementaux des déchets nucléaires et du CO2 ? » ou « Les arguments scientifiques ne sont-ils pas bien souvent incomplets s’ils ne sont pas mis en regard avec l’expression des valeurs ou des représentations ? ».

Des projets naquirent alors peu à peu à l’interface entre les deux volets de l’association. Avec les ateliers-débats « Au-delà des étoiles », « Frankenstein » et
« Qui veut la peau des animaux ? », avec l’exposition photographique « Recréer la vie ? » ou les concours d’écriture de contes scientifiques sur le développement durable, les connaissances scientifiques se mêlent à la discussion des enjeux politico-économiques du développement de la technologie, à la clarification des valeurs, laïques ou religieuses, et aux réflexions éthiques sur le rapport au vivant de la recherche scientifique et des brevets. Aussi est-il désormais difficile de dire auquel des deux réseaux l’association appartient. Aux deux probablement, alors que l’objectif ne réside plus dans un strict apport de connaissances scientifiques ou environnementales. Ce dernier devient un simple besoin dans le cadre d’activités de réflexion plus larges, plus participatives.
Une évolution des pratiques est donc possible ; ce mouvement est tout juste entamé et les bases d’une EREST et d’une ASTRE, brièvement posées dans cet article, méritent toutefois d’être consolidées. Du haut de son histoire et de son impact sur le monde actuel, la chimie y aurait sans aucun doute un immense rôle à jouer.

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