dimanche 26 juin 2011

Communication et "deficit model"

En juin 2010, nous relations quelques données du rapport chimie-société en lien avec l’idée selon laquelle l’exigence de durabilité induisait pour la chimie, au-delà des préoccupations écologiques désormais bien intégrées, un principe fondamental de responsabilité économique et sociale, voire éthique. Dans la continuité de ce billet, nous montrons ce mois-ci comment il est possible, et probablement nécessaire, d’en tenir compte dans sa communication.

L’affichage par les chimistes industriels de leur conscience écologique renouvelée par la mise en place de la procédure REACH, celle qui teinte tous les discours sur la chimie durable et met invariablement en avant les 12 principes de la green chemistry, les conduit certes à tout entreprendre pour éviter les accidents industriels, limiter l'impact environnemental de leurs procédés de production, contrôler la nocivité et la quantité de leurs effluents, produire des substances de synthèse inoffensives et prouver leur innocuité avant leur mise sur le marché, voire prévoir l'intégralité des cycles de vie des biens de consommation qu’ils produisent.

Or il serait imprudent de croire que cette exigence s’applique uniquement aux procédés industriels. Au contraire, pour l’ensemble des acteurs de la chimie, elle doit désormais porter sur le rôle et la place accordés aux connaissances qu’elle produit et aux applications qui en découlent ; sur la manière dont elle propose à la société les options technologiques qu’elle rend possibles et, par suite, sur la manière dont elle parle d’elle-même, dont elle se présente au public ; en bref, sur sa logique de communication.

La conséquence, trop souvent occultée par les débats stériles autour du principe de précaution (à moins qu’il ne permette justement d’éviter d’aborder la véritable question de front), est aussi dérangeante au premier abord qu’incontestable après réflexion. Comment ? Il faudrait consulter la société avant de développer une nouvelle technologie alors qu’elle améliorera indéniablement son confort ? Avant même d’investir dans des recherches qui, par leur développement industriel, créeront des milliers d’emplois ? Il faudrait brider le progrès, museler la connaissance, dont la sauvegarde constitue pourtant une de nos valeurs inaliénables ?

Inquiétudes légitimes. Mais dans une société démocratique, les citoyens ne sont-ils pas supposés choisir leur avenir ? Décider de ce qui est bon pour eux ? Préférer que l’argent public soit investi dans la lutte contre la pauvreté ou la culture plutôt que dans les nanotechnologies, quitte à perdre quelques points de PIB ? Refuser des recherches sur le vivant (biotechnologies, biologie synthétique) qui heurtent des valeurs tout aussi inaliénables ? N’y a-t-il pas un risque que les intentions des chimistes soient interprétées comme une négation de ces principes démocratiques lorsque l’une de leurs revues titre « La chimie prépare notre avenir » [i] ?

Il semble donc qu’il y ait une convergence tout à fait opportune à explorer, en termes de responsabilités écologique, économique et sociétale, entre l’idée de chimie durable et l’abandon de modes communicationnels obsolètes et contre-productifs, liés à une vision du rapport science-société totalement erronée car reposant sur une conception simpliste : celle que les anglo-saxons nomment le deficit model.

Le deficit model en bref
POSTULAT : Il y a un manque de soutien pour la chimie.
DONC : Il faut organiser des campagnes d’information et de séduction.
ALORS : « Les gens » sauront, comprendront et aimeront.
ENFIN : Ils soutiendront la chimie.

Derrière cette démarche aussi répandue que caricaturale se dissimulent deux hypothèses implicites : 1/ « Les gens » ne sont pas capables de juger par eux-mêmes (personne ne prenant en général la peine de définir qui sont ces gens) et 2/ Ils sont contre parce qu’ils n’ont rien compris. Ce que résume d’une manière humoristique la figure suivante.

Caricature d’une communication inspirée par le deficit model.

A cette conception naïve du public s’ajoute une erreur si compréhensible qu’elle en est excusable, pour le chimiste comme pour n’importe quel autre scientifique : celle qui consiste à transposer son cas particulier à celui de ses interlocuteurs, en imaginant qu’eux aussi vont être conquis par les merveilles de la chimie au fur et à mesure que s’accroîtront les connaissances et la conscience qu’ils en auront. Or l’opinion n’est pas qu’affaire de connaissances : elle se construit à partir d’expériences vécues, sur un système de valeurs préexistant, sur des imaginaires robustes, des aspirations, des intérêts et des peurs qu’il est malhonnête de qualifier « d’irrationnelles » pour les discréditer. De fait, de nombreuses études montrent que les populations les plus instruites ne sont pas celles qui soutiennent le plus la diffusion débridée des innovations technologiques [2]. Serait-ce parce qu’elles ne seraient pas suffisamment éduquées en sciences ? Osons émettre l’hypothèse selon laquelle ce serait plutôt parce qu’elles ne sont pas éduquées seulement en sciences…

Nous y reviendrons dans un prochain billet.
___
[1] L’Actualité Chimique, N°348-349, janvier-février 2011.
[2] Lire par exemple : Bucchi, M. & Neresini, F. Biotech remains unloved by the more informed, Nature 416, 261, 21 March 2002.

Libellés : , , , ,

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire

Bonjour. Faites-nous part de vos commentaires. Ces derniers seront modérés, puis publiés. Les meilleurs d'entre eux pourront faire l'objet d'une parution dans l'Actualité Chimique.

Abonnement Publier les commentaires [Atom]

<< Accueil