jeudi 31 janvier 2008

Petit chimiste recherche... produits chimiques

Décembre 2007. Une société de vente en ligne de produits culturels et de loisirs créatifs commercialise pour Noël, dans sa rubrique Espace Jeunesse, un nouveau kit expérimental : un coffret chimie permettant de réaliser pas moins de 120 expériences.

Destiné aux plus de 8 ans, il respecte en outre la sécurité des jeunes utilisateurs : il est garanti sans danger car… sans produits chimiques.

En peu de temps, notre communauté prend connaissance de « l’affaire ». Dès lors, on ne compte plus les messages sarcastiques, les commentaires goguenards, les haussements d’épaule et les yeux levés au ciel. « Faut-il être stupide pour imaginer possible de faire de la chimie sans produits chimiques… »

Essayons toutefois d’analyser l’anecdote en imaginant, pour une fois, que les concepteurs du coffret, pour ne pas être chimistes, ne sont peut-être pas pour autant des imbéciles heureux. Si l’expression est comique, qu’ont-ils toutefois réellement voulu dire et par quoi auraient-ils pu la remplacer ? Assurément, c’est la notion de danger qui est ici mise en exergue, et l’on constate en effet que les deux seules substances fournies dans la boîte sont l’inoffensif bicarbonate de sodium et le glycérol commun. Le slogan ne précise-t-il pas : « Avec des produits ménagers » ? « Sans produits chimiques » doit donc être entendu comme « Sans substances dangereuses ». L’observation est récurrente : le non-chimiste emploie le terme produit chimique à la place de substance dangereuse. Pourquoi ?

Voici une piste. Le non-chimiste est aussi un ex-élève. Lorsqu’il a appris la chimie, on lui a donné accès aux transformations de la matière. Cette dernière tend spontanément à évoluer vers des états de plus grande stabilité : on utilise donc, pour la perturber, des conditions expérimentales sévères ou des substances réactives. Les substances réactives étant rares dans la nature, elles sont le plus souvent synthétiques. Or c’est bien dans ces deux termes, réactif et synthétique, que réside l’essentiel de la définition du produit chimique qu’on a fourni à notre ex-élève [i].

Que faut-il donc lire dans le slogan apposé naïvement, et certes maladroitement, sur ce coffret de chimie ? La garantie qu’il ne contient aucune substance exagérément réactive, ni aucun produit de synthèse dont on risquerait de ne pas maîtriser tous les effets [ii]. S’il ne faut donc voir, dans cette maladresse, que l’emploi d’un terme inapproprié, était-il légitime de s’en offusquer de la sorte ? Probablement pas. Au contraire, envisager ce cas avec un peu plus de distance nous aurait peut-être permis de réagir contre ce qu’il avait de réellement délétère…

Ainsi donc, ne nécessiter la seule mise en œuvre de produits ménagers serait, pour ce coffret, une garantie (et même un argument) de sécurité. Or n’est-il pas dans notre mission de chimistes « connaissants » de prévenir nos enfants que, justement parce qu’ils sont pour la plupart synthétiques et réactifs, les produits ménagers sont souvent des produits chimiques dangereux ? Le scandale que représente ce coffret, si scandale il y a, n’était pas de confondre produit chimique avec produit dangereux, mais produit ménager avec produit domestique. On ne peut que regretter que notre mission de « gardiens du temple » de la Chimie nous ait trop aveuglés pour nous empêcher d’immédiatement réagir en ce sens.

________________________________________

[i] Qu’ensuite les chimistes, par désir d’affirmer l’étendue de leur champ disciplinaire, décident de qualifier toute substance, fût-elle naturelle et inerte, du qualificatif de « chimique » ne change rien à l’affaire. L’histoire de ce que nous nommons le « rapt épistémologique » des chimistes est d’ailleurs une problématique à part entière, que nous conterons dans une prochaine chronique.
[ii]
Car c’est bien de là que provient la « peur du synthétique » (et les exemples ne manquent pas, ces dernières décennies, pour la conforter), qui elle-même renforce l’émergence des valeurs naturalistes* dans notre société.

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3 commentaires:

Blogger drole a dit...

Intéressante analyse.
En effet associer produit chimique avec produit dangereux est faux et donc idiot ou malhonnête, de même faire croire qu'un produit ménager n'est pas un produit chimique et pas dangereux est imbécile et/ou malhonnête. Inutile de tourner autour du pot.

Mais d'où vient cette doxa ? Comment se fait-il qu'un publicitaire un distributeur etc se sente obligé de dire tant de bêtises sans vergogne ?

Il suffit de prendre en compte l'ignorance crasse des acteurs de notre pays (et d'ailleurs aussi) pour le comprendre, il suffit de voir que l'enseignement scientifique de la population est très mauvais, il suffit de voir que les industriels (influant les législateurs) préfèrent cacher la réalité et ne pas informer le public sur les produits accessibles au public.

La situation est en grande partie due à des choix anti-démocratiques, qui cachent les réalités sous prétexte que les gens ne sont pas capables de comprendre. C'est une des formes du terrorisme (refus absolu de dialoguer, de prendre en compte l'autre) intellectuel qui caractérise une société contrôlée par le profit (pouvoirs féodaux privés) au détriment d'un système démocratique, qui respecterait l'individu et la population.

L'exemple de l'arbitraire concernant la chimie vient d'en haut, le 0,9% d'OGM comme limite d'obligation de déclaration, les non-obligations de compositions, ... les non respects flagrants et répétés des normes sanitaires de l'air, de l'eau, des effluents, dans notre pays très pollué etc ... Voir aussi les difficultés de l'avènement du projet REACH, tellement édulcoré ...


La chimie est incomprise car cachée, un choix de profiteurs au détriment flagrant de la santé que-dis-je de la vie.

On peut en dire autant du nucléaire, et de bien d'autres domaines. Dès que la connaissance dérange, elle est contrôlée, une histoire vieille comme le monde, que le soit-disant avènement de la démocratie n'a que peu changé ...


Anecdotique ?
L'heure du commentaire c'est l'heure de New-York ?
Autrefois on se gaussait de l'heure que Moscou tentait de nous imposer ...

15 mars 2008 à 08:57  
Blogger drole a dit...

"valeurs naturalistes"

j'attends avec impatience le billet promis sur le sujet.

Mais je ne peux pas attendre : j'anticipe; le naturalisme serait-il ce retour à la nature que demanderaient tant de gens, des écologistes par exemple ?

Pour moi le naturalisme c'est le principal message du néo-libéralisme actuel (qui envahit et dérégule toute l'économie mondiale), qui remet la loi du plus fort comme mode de régulation du monde. Ne dit-on pas concurrence libre et non faussée - c'est à dire que le meilleur gagne ?
Ne dit-on pas que chacun doit se battre contre les autres pour gagner ?
C'est ce qu'énoncent les lois naturelles : c'est celui qui s'adapte qui gagne, c'est le meilleur qui survit. On peut énoncer certains effets et déductions de ce dogme, mais restons bref ...

Voici donc ce que sont certaines 'valeurs naturalistes' .... les plus fréquemment exprimées, illustrées, explicitées, aux fenestrons de toute la planète.

Et les écologistes ?
Des empêcheurs de polluer en rond ! Ils avaient annoncé les catastrophes (dues au mode de développement économique), elles adviennent ! Malheurs à ceux qui annoncent les malheurs ! Et malheurs aussi à ceux qui les ignorent !

On vit une époque formidable.

15 mars 2008 à 09:19  
Anonymous Anonyme a dit...

Je voudrais apporter quelques réflexions à propos des deux derniers articles de ce blog. Je suis une ancienne prof de chimie et j'ai tenté de faire partager mon enthousiasme à mes élèves.

J'ai connu, il y a quelques décennies, un mépris souverain pour la chimie ( il suffit d'apprendre par cœur, pas besoin d'être malin … ) cette difficulté a été surmontée et je pense que les olympiades nationales de la chimie ont permis d'arriver à une revalorisation de cette discipline dans les lycées…
Nous avons donc un chantier beaucoup plus vaste pour valoriser la chimie et les sciences physiques en général dans le public … car pour l'instant, du fond de ma province, aux yeux de mes amis tout à fait estimables, chimie = au mieux magie, au pire sorcellerie et en plus bénéfices astronomiques pour certaines boites (qui complotent d'ailleurs parfois pour gagner encore plus d'argent ! ). De plus "naturel = sans danger", les pollueurs sont toujours les autres … etc…

Alors quelques questions :
- pourquoi les sciences ne font elles pas partie de la culture générale ( comme peinture, lecture, cinéma …) ?
- pourquoi l'artificiel est il si mal perçu ?
- pourquoi le positif des sciences est il si peu montré ?

Il me semble que les problèmes d'environnement doivent être vus avec des chimistes.

Une ouverture à propos de la chimie : chimie et gastronomie : la cuisson du pain ou des œufs, le goût du vin, les oligoéléments,… sont des sujets qui semblent intéresser beaucoup de gens et certains thèmes de chimie et vie courante ( la composition d'une lessive et le principe de la permanente pour ne prendre que deux exemples ) sont bien écoutés.

En bref : bravo et encouragements à tous ceux qui veulent faire considérer et aimer les sciences. Il y a un domaine scientifique qui me semble avoir réussi auprès du grand public : c'est l'astronomie ( et astrophysique ). Comment s'est faite la vulgarisation de cette discipline ? On pourrait peut-être examiner çà !

26 mars 2008 à 01:28  

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