dimanche 20 juin 2010

La chimie durable : verte et responsable

Dans notre billet du mois de janvier 2010, nous évoquions l’idée d’une culture scientifique, technique et industrielle qui respecte les individus, leurs connaissances et leurs valeurs. D’un autre côté, l’avènement du concept de chimie durable nous offre justement l’occasion de nous demander si les évolutions des procédés de la chimie vers plus de durabilité ne pourraient pas également impliquer une évolution de ses rapports avec la société et, en particulier, des processus relatifs à sa communication.

Les trois piliers du développement durable nous rappellent en effet que l’idée de durabilité ne se limite pas à construire une post-modernité consciente de l’impact des activités des humains sur leurs environnements proches et sur les grands cycles naturels, mais qu’elle cherche également à y intégrer localement et globalement l’ensemble des problématiques sociales et économiques auxquelles l’humanité est confrontée. Elle induit donc, pour la chimie en particulier et au-delà des préoccupations écologiques désormais bien intégrées, un principe fondamental de responsabilité économique et sociale, voire éthique.

N’y aurait-il pas par suite une convergence opportune à explorer entre culture scientifique et chimie durable autour de cette idée de responsabilité ? De fait, l’objectif de notre billet consistera à tenter de montrer ce mois-ci que l'évolution de la chimie actuelle vers une chimie durable devra nécessairement passer par une évolution des représentations que se font les chimistes de leur discipline, de la société et de la meilleure manière de gérer les interrelations qu’elles entretiennent ; c’est-à-dire, entre autre, par une évolution de leurs modes de communication.

Car comme nous allons le voir, communiquer sur une chimie durable (à la fois verte et responsable, donc), sur une chimie en société telle que nous l’appelons tous de nos vœux, nécessitera de passer d'une attitude défensive, positiviste et, il faut bien l’admettre, un peu condescendante parfois, à une démarche plus ouverte d'écoute et de respect des inquiétudes, des intérêts et des attentes de nos concitoyens, notamment à travers la compréhension des valeurs et des imaginaires qui les sous-tendent.

Or l'essentiel des actions de communication des chimistes étant conditionné par l'objectif prioritaire que constitue l'amélioration de l'image publique de leur discipline, l'adoption d'une telle posture semble pour le moment inaccessible à notre communauté. Pour remédier à ce problème, nous devrons en effet et au préalable parvenir collectivement à comprendre et à admettre plusieurs données du rapport nature-chimie-industrie-société qui, à défaut d’être nouvelles, sont désormais incontournables :

1. Que la relation de la chimie à la société s'articule autour de deux pôles fondamentaux, le corps et la nature, qui concentrent des valeurs fortes et de puissants imaginaires, et dont les progrès de la chimie (parmi d’autres sciences) perturbent en permanence les contours.

2. Que par suite, la communication de la chimie ne peut plus se limiter à une simple question d'éducation et d'instruction, pas plus qu'elle ne peut se satisfaire d'actions de promotion des bienfaits de ses innovations, mais qu'elle devra tôt ou tard s'inscrire dans des processus de discussion et de clarification des valeurs face aux démonstrations et aux faits proposés par la communauté scientifique.

3. Que toute innovation issue de la recherche fondamentale, fut-elle imaginée pour améliorer la santé ou le confort des individus, influe avec un impact variable mais souvent fort sur leurs destinées et que, à cet égard, elle est susceptible de ne pas correspondre au projet de société de nombre d’entre eux [i].

4. Que l'histoire du XXe siècle a notamment montré que la confiance absolue conférée aux scientifiques avait pu dans certains cas s’avérer plus néfastes que bénéfiques, soit parce que leurs inventions avaient fait l'objet d'usages pervers (à leur corps défendant ou avec leur accord), soit parce qu'elles avaient simplement eu des effets secondaires néfastes imprévisibles et donc inattendus [ii].

5. Que dans le cadre d’une chimie mondialisée, il est légitime que les individus craignent les débordements d’une techno-science soumise aux lois du marché, cette crainte dut-elle se manifester par la revendication maladroite du principe de précaution.

6. Que la responsabilité des chimistes ne consiste donc plus seulement en leur capacité à éviter les accidents industriels, à limiter l'impact de leurs procédés de production, à contrôler la nocivité et la quantité de leurs effluents, à produire des substances de synthèse inoffensives, ni même à prouver leur innocuité ou à prévoir l'intégralité du cycle de vie des biens de consommation ; autant d’obligations qu’ils ne seront d’ailleurs jamais en mesure de satisfaire totalement [iii].

7. Que dans une société échaudée par nombre d’événements dramatiques et, somme toute, moins en attente d’innovations compte tenu du niveau de confort auquel la science et la technologie lui ont permis d’accéder, les citoyens ne toléreront plus une communication de la chimie destinée simplement à justifier des choix technologiques imposés d’en haut, sans que leur voix n’ait pu être entendue.

8. Que par suite, l’exercice de la démocratie impose que la chimie de demain soit une chimie choisie par la société, en fonction des implications sociales (bénéfiques ou non) qu’elle présentera, soumise au crible des valeurs, des imaginaires et de l’appréciation du plus grand nombre.

9. Enfin, qu’un des nouveau rôles de la communication de cette chimie nouvelle – mais pourra-t-on encore parler de « communication » ? – sera donc probablement de permettre l’expression des valeurs, des opinions et des imaginaires, et d’élargir l’arène du débat public jusqu’à la conception même des programmes de recherche, à toutes les étapes de la conception des applications technologiques qui nous seront proposées (et non plus imposées) après-demain.

Pour ce faire, il serait donc probablement pertinent d’intégrer à la construction du concept de chimie durable, qui semble devoir servir de ferment au développement de l’idée d’une chimie du futur, une réflexion sur la posture de la chimie à l’égard de son rapport au corps et à la nature. Et plus pertinent encore, de faire accompagner cette réflexion par des programmes de formation spécifiques, destinés à ceux-là même qui la financeront, la feront, l’autoriseront et la communiqueront demain.

A cet égard, on ne peut que se réjouir de l’incorporation progressive, dans des masters de sciences expérimentales, de modules de plus en plus nombreux autour de la communication des sciences et de ce que l’on nomme plus généralement les science studies.

______________________________

[i] Michel Callon parle alors de groupes concernés. Callon, M. Plaidoyer en faveur du réchauffement des relations entre science et société - De l'importance des groupes concernés, L’actualité Chimique, Numéro Spécial Médiation de la chimie, nov-déc. 2004.
[ii] Pour une discussion de ce point délicat, voir Pestre, D. Séminaire Koyré du 11 avril 2010, non publié, disponible auprès de l’auteur de cette chronique.
[iii] Ibid.

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