lundi 15 novembre 2010

L'alphabet de la chimie (1/2)

Dans quelle mesure peut-on dire qu’il y a du sodium dans le chlorure de sodium ? Pour le chimiste, la réponse ne fait aucun doute : l’élément chimique caractérise le chlorure de sodium autant que le sodium métallique. Pourtant, il faut avoir une bien grande foi en ce chimiste pour admettre un tel point commun entre deux substances qui ont si peu à voir l’une avec l’autre : l’une saline, l’autre métallique, la première présente partout dans la nature, l’autre artificielle, l’une blanche et soluble dans l’eau, l’autre grise et qui décompose cette dernière…

« Il y a du sodium dans le chlorure de sodium »

On ressent intuitivement que la compréhension de cette proposition, qui constitue tout autant une évidence pour le chimiste qu’un mystère pour l’élève novice, nécessite de surmonter deux types de difficultés. La première provient du fait que les chimistes attribuent le même nom à la substance sodium (décrite plus haut) et à l’élément chimique sodium. Une difficulté que les enseignants s’efforcent de contourner en nommant le gaz O2 « dioxygène », avec un succès limité dans la mesure où il continue à être nommé « oxygène » dans le langage courant et où, quoi qu’il en soit, le subterfuge ne résout pas le problème du sodium, du carbone ou de l’hélium.

La seconde difficulté est plus intéressante encore car elle a trait à la définition même de la notion d’élément chimique. A tel point qu’il est possible de la reformuler en cette interrogation surprenante mais féconde : « Comment faut-il définir la notion d’élément chimique pour pouvoir dire qu’il y a du sodium dans le chlorure de sodium ? ».

On attend de l’élève apprenti chimiste, qui n’a d’ailleurs souvent pas sollicité l’attention qu’on lui porte, qu’il parvienne après bien des efforts à appréhender et à décrire la matière selon quatre niveaux bien distincts et pourtant interconnectés : les substances et matériaux [i] (niveau macroscopique), les atomes et les molécules (niveau atomique [ii]), les représentations et les formalismes (niveau sémiologique) et enfin les cases de la classification périodique. C’est ce quatrième niveau qui reste de loin le plus difficile à appréhender, notamment dans tous les cas où il est confondu avec l’un des trois autres.

De multiples sources de confusions

C’est par exemple le cas lorsque la classification périodique est représentée sous la forme d’une série de cellules contenant la photographie ou un échantillon réel du corps pur simple correspondant à chaque élément, associés à des propriétés physiques telles que densité, état physique, température d’ébullition, etc. Cette confusion entre corps pur simple et élément chimique a des conséquences particulièrement complexes chez les anglo-saxons, qui n’utilisent qu’un seul terme : « element ». La version anglaise de Wikipedia indique par exemple : « Elemental sodium was first isolated by Humphrey Davy in 1807 ». Dans cette formule pourtant intraduisible en français, on devine déjà une ambigüité latente.

Mais celle-ci se confirme définitivement dans une autre rubrique de l’encyclopédie en ligne, qui propose alors la définition suivante : « A chemical element is a pure chemical substance consisting of one type of atom distinguished by its atomic number, which is the number of protons in its nucleus ». Il s’agit bien de la définition que nous donnons au corps pur simple.

Par ailleurs, des corps purs simples différents constitués du même type d’atomes pouvant vérifier la propriété ci-dessus (O2 et O3, graphite, diamant et fullerènes…), on pourrait même déduire de cette définition qu’O2 et O3 ne relèvent pas du même élément chimique !

La proposition comporte en outre un implicite énorme selon lequel des isotopes différents appartiendraient au même « type d’atomes ». Une convention bien admise par le chimiste, mais pourquoi l’élève devrait-il trouver normal que des atomes différents appartiennent au même « type » lorsqu’ils ont le même nombre de protons et non pas le même nombre de neutrons [iii] ?

La même confusion entre élément chimique et corps pur simple risque d’être entretenue par le récit de Mendeleev remplissant sa classification grâce à ses expériences de laboratoire, ou par des ouvrages tels que Le Système Périodique, de Primo Levi, qui n’y évoque que des substances. Il n’est pas question, bien entendu, de taire pour autant ces extraordinaires histoires, mais simplement d’être conscients de l’ambigüité de ces concepts, assimilés et clarifiés tant bien que mal par les chimistes aguerris, pour prévenir la confusion qu’ils sont susceptibles d’induire chez l’élève novice.

Autre source de confusion, entre élément chimique et atome cette fois : la même version anglaise de Wikipedia poursuit, dans la même définition de l’élément chimique, avec la phrase suivante : « All chemical matters consist of these elements ». Les matériaux sont-ils constitués d’éléments ou d’atomes ? Nous préférons considérer qu’en tant qu’objet physiques, les matériaux doivent être décrits à l’aide d’autres objets physiques, c’est-à-dire d’atomes et non pas d’éléments (dont nous proposons plus loin de dire qu’ils n’en sont pas). La confusion semble moins fréquente en français qu’en anglais, mais il est vrai que dans les deux langues, l’élément sodium porte non seulement le même nom que la substance sodium métallique, mais également que l’objet physique microscopique que constitue l’atome de sodium.

La notion d’élément chimique

Comment définir alors « l’élément chimique » s’il n’est ni le corps pur simple, ni l’atome qui le constitue ? Peut-être en acceptant de s’écarter de sa conception matérialiste et de le définir non plus comme un objet, mais comme une catégorie. Une catégorie d’atomes, qui auraient en commun un seul paramètre parmi d’autres : un numéro atomique. Tous différents, les isotopes du carbone appartiennent pourtant à la même famille, au même élément, parce qu’ils possèdent tous 6 protons. Et si l’on souhaite pour commencer proposer à l’élève une définition moins abstraite, plus phénoménologique, on pourra peut-être simplement lui dire qu'un élément chimique est une famille d'atomes interchangeables sans modifications structurelles ou fonctionnelles majeures dans une molécule.

Considérer l’élément chimique comme une catégorie et non plus comme un objet résout beaucoup de questions philosophiques, sémantiques et, par suite, pédagogiques. En particulier, dans ce dernier domaine, parce que cela ouvre la voie à une comparaison particulièrement éclairante : celle qui relie la structure de la matière et celle du langage écrit. Un exercice auquel nous nous livrerons dans notre prochain billet.


[i] Merci à Lydie Valade pour la précision suivante : Les scientifiques du génie des procédés décrivent un matériau comme l'association nécessaire de 3 composantes : matière, propriété physique et fonction (carbone graphite, noir et de faible dureté, mines de crayon). Une matière douée de propriétés ne devient donc un matériau que lorsqu'elle est intégrée dans un objet.
[ii] Voire « subatomique » dans leurs cours de physique et, plus tard encore, « mésoscopique », voire « nanoscopique ».
[iii] Et qu’on n’aille pas croire qu’il suffise de lui dire que ce qui importe au chimiste, c’est le nombre d’éléctrons, qui se trouve être le même que le nombre de protons : la chimie travaille essentiellement avec des ions et des nombres d’oxydation où justement, ce n’est pas vrai !

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