vendredi 20 août 2010

Lancement du manifeste Révoluscience

Dans notre dernier billet, nous proposions quelques pistes pour rendre durable la communication de la chimie en même temps que la chimie elle-même. Or voici que durant l’été, une entreprise ambitieuse a été montée sous la forme d’un « manifeste pour une médiation scientifique autocritique et responsable » par un collectif d’associations de l’Ecole normale supérieure : le collectif voluscience porté par le groupe Traces, rassemblant les Atomes Crochus et Paris Montagne.

La communication publique de la chimie, et de la science en général, n’est pas neutre. En participant à construire une image de la science auprès du public, ainsi qu’une image du public auprès des scientifiques, elle a un impact majeur sur les relations entre science et société, et sur la manière dont la science elle-même est pratiquée.

C’est pourquoi il est indispensable de remettre en permanence en discussion les principes qui fondent la communication et la médiation scientifiques : comprendre les implications des principes adoptés et des discours portés, pour pouvoir ensuite choisir… voilà l’objectif du manifeste porté par le collectif Révoluscience. Car aujourd’hui plus que jamais, c’est à la société toute entière de choisir l’avenir qu’elle souhaite, et aux médiateurs scientifiques de nourrir ces choix pour qu’ils soient les plus conscients possible.

Qu’est-ce qu’une médiation scientifique responsable ?
• La science participe à la construction de la paix, mais aussi à l’alimentation des guerres. Une médiation scientifique responsable a le pouvoir de peser dans la balance. Et elle a également le devoir de se donner ce pouvoir.
• La science peut contribuer à réfuter des superstitions néfastes, mais aussi à écraser des mythes enrichissants. Une médiation scientifique responsable doit toujours savoir quand elle renforce chacun de ces impacts.
• La science recherche la vérité, l’argent, le pouvoir, le savoir, le partage, les brevets, la peur, la poésie. Elle aide à mieux soigner, mais aussi à mieux tuer ; à mieux voir, mais aussi à mieux fermer les yeux. Le collectif Révoluscience appelle par suite une médiation scientifique qui sache reconnaître les risques de la science, et promouvoir ce qu’elle a de meilleur.

La nécessité d’une telle entreprise se justifie-t-elle ? Qu’il nous suffise de citer un exemple, observé lors d’une des dernières éditions de la Fête de la science. Imaginez la grande mezzanine de la Cité des Sciences ; face à la verrière, un public nombreux est massé sur un gradin pour assister à une conférence de gastronomie moléculaire. Le conférencier, jeune maître de conférences d’une université parisienne [i], commence…

Et il commence en s’attaquant bille en tête aux tours de mains culinaires des spectateurs. « Vous, madame, vous tournez votre mayonnaise en huit ? Affligeant… Vous, monsieur, vous cuisez vos œufs dans l’eau bouillante ? Inutile… Et en plus vous salez votre steak avant de le cuire ? Ahurissant… La Science, mesdames et messieurs, et plus précisément la mienne, va vous faire oublier toutes ces superstitions et vous apprendre à cuisiner. »

Un discours du 19e siècle, une science arrogante, condescendante ; qui ne respecte ni le public, ni la valeur que l’on peut attribuer à ces petits gestes qui, parce qu’ils obligent le cuisinier à accorder de l’attention à sa recette, cristallisant ainsi son application et lui permettant d’imaginer le plaisir prochain de ses proches, font qu’en effet le repas sera meilleur.

Car si les connaissances de la science sont utiles dans bien des cas (saler le steak avant de le cuire lui fait par exemple perdre son jus par osmose), il serait très préjudiciable de calquer sur elle toutes nos conduites. Mettre son nez sous la queue d’un melon est probablement stupide ; mais cela m’aide à choisir parmi la centaine qui m’est proposée. Si je n’ai pas la chance de pouvoir m’adresser au maraîcher qui lui, saura exactement quel melon je dois acheter, cette non-connaissance, que d’aucun appelleront superstition, me fera gagner quelques minutes de ma journée, et un peu de sérénité.

Ce manifeste n’est en aucun cas une apologie du non-savoir. Au contraire, ceux qui le portent sont scientifiques de formation et/ou de métier et chérissent la science, ses méthodes et sa vision du monde. Mais ils souhaitent avant tout une science qui sache se présenter avec humilité, dans l’écoute des valeurs de nos concitoyens et non dans le dénigrement de leurs croyances.

Quelques propositions issues du manifeste Révoluscience
• Pour une médiation scientifique qui propose, sans l’imposer, une vision scientifique du réel laissant la place à d’autres rapports au monde.
• Pour une médiation scientifique qui présente une science qui explicite plutôt qu’une science qui dévoile, qui donne à penser plutôt qu’à croire.
• Pour une médiation scientifique qui ne présente pas la science comme nécessaire facteur de progrès.
• Pour des pratiques innovantes qui favorisent le débat d’idées et la clarification des valeurs en vue de soutenir les citoyens dans l’élaboration de leurs prises de positions, tant individuelles que collectives.
• Pour une médiation scientifique qui développe des pratiques valorisant la démarche de recherche comme attitude citoyenne et démocratique.
• Pour le développement explicite d’une déontologie de la médiation scientifique, se méfiant notamment du risque de manipulation de l’opinion que lui confère la puissance explicative des sciences.

Pour en savoir plus et soutenir le manifeste, rendez-vous sur www.revoluscience.eu ! Un blog permet de commenter chaque proposition et les textes explicatifs qui les accompagnent, paragraphe par paragraphe.

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[i] Cet exemple ne constitue en aucun cas une attaque ou une critique de la légitimité de la gastronomie moléculaire, que certains savent au contraire présenter clairement et avec amour, sans insulter leur auditoire.

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