mercredi 10 février 2010

De l'animation scientifique à l'éducation au DD

Les 10 et 11 septembre 2009, l’IUT de Tours organisait pour la première fois une rencontre entre deux communautés éducatives informelles importantes : les réseaux dits de l’AST (Animation Scientifique et Technique) et de l’ERE (Education Relative à l’Environnement), qui regroupent à eux deux la majorité des structures et associations de culture scientifique et de sensibilisation à l’environnement pour un développement durable (on parle d’ailleurs souvent d’Education au Développement Durable (EDD)). Ces rencontres RASTERE furent ainsi l’occasion d’examiner les structures, évolutions, influences et antagonismes réciproques de ces deux réseaux. Or la chimie relève à la fois de l’AST et des préoccupations de l’ERE. En quoi peut-elle profiter de l’interaction entre ces deux réseaux, voire en retour contribuer à la constitution d’une approche communicationnelle unifiée ?


L’éducation relative à l’environnement

Bien qu’elle véhicule de nombreuses connaissances scientifiques et requière des analyses systémiques approfondies, l’ERE tire beaucoup de ses motivations de l’expression de valeurs et d’idéologies portées et exprimées par des courants écologistes plus ou moins modérés : courants environnementalistes durs (mouvements pour la cause animale et antivivisectionnistes), anti-technologistes (nucléaire, OGM, nanotechnologies), décroissants et altermondialistes, naturalistes… Ces courants sont illustrés par des avatars aussi variés que les villes et maisons bioclimatiques (ou biocompatibles), le commerce équitable, les énergies et la chimie vertes, la deep ecology, l’écologie industrielle ou l’agriculture écologiquement intensive.

En dépit de cette diversité, on observe depuis une vingtaine d’années une forme de regroupement autour de l’idée fédératrice de développement durable, par rapport auquel (ou par lequel) il est possible, pour chacun de ces courants, de se définir. Certes sa formulation est souvent contestée, comme l’attestent les interminables et fréquentes discussions sur la pertinence des notions de durabilité et de développement mais, plutôt que comme une mise en cause du concept, ce phénomène peut également être interprété comme étant le signe de la diversité des sensibilités, et donc des traductions de l’idée de DD.

On observe également, il est vrai, l’apparition d’un certain flou accompagnant la démocratisation de ce concept, sa mauvaise compréhension, voire son accommodation (le greenwashing en constituant l’élément emblématique). Malgré tout, le DD articule un peu toutes les sensibilités car tous ces courants se positionnent plus ou moins sur les trois disques de la traditionnelle figure employée pour le décrire.






L’ERE : vers un développement vivable, équitable, viable… durable. On y rajoute parfois une dimension éthique, absente du schéma originel, et souvent deux flèches : celles du temps et de l’espace.


Mais ils s’y positionnent souvent dans des perspectives opposées, dont les variantes extrêmes relèvent soit du ralentissement (décroissance), soit de la fuite en avant (technological fix). Cette distinction simple permet par suite de distinguer deux groupes différents, positionnés de part et d’autre du DD : les alternatifs alarmistes et les optimistes progressistes. Grâce à elle, on comprend que c’est le rapport à la science et à la technologie qui joue un rôle important dans le positionnement interne des acteurs de l’ERE.

alternatifs alarmistes---------------DD---------------optimistes progressistes
----------------------------------------------------------------------------->

Deux courants de l’ERE distingués par leur rapport à la science et à la technologie.


L’animation scientifique et technique

Cette diversité est moins intuitive pour l’AST qui se rassemble autour de l’idée relativement consensuelle de l’importance de la diffusion de connaissances objectives dans une optique d’éducation et de promotion de la science, en dépit de la diversité des objectifs affichés (former le citoyen, lutter contre la désaffection pour les filières scientifiques, partager des passions...). En son sein, les distinctions s’opèrent donc davantage selon des courants d’ordre pédagogique et tous ses acteurs adhèrent peu ou prou à l’idée d’une science et d’une technologie qui soient intégralement dédiées au progrès humain.

Depuis quelques temps pourtant, des divergences naissent ; on commence à interroger ces moyens et objectifs. On se dit que pour traiter de la question des OGM, il est autant (voire plus) utile de clarifier ses valeurs que de comprendre ce que c’est qu’un gène ; on commence à se demander quels types de connaissances sont utiles au citoyen, si l’indicateur d’éducation scientifique doit vraiment être le pourcentage de gens qui savent qui, de la Terre, de la Lune et du Soleil, tourne autour de qui ou, de la balle de tennis et de la boule de pétanque, laquelle tombe le plus vite. Et pourquoi il faut former des scientifiques alors que tant de docteurs cherchent du travail. La dimension éthique devient plus prégnante dans les recherches, et les médiateurs scientifiques eux-mêmes posent les questions du rapport au vivant qu’elles induisent. Des scientifiques, enfin, prennent des positions politiques sur un certain usage de la science et de la technologie, comme c’est le cas du climat (Jean Jouzel), des OGM (Pierre-Henry Gouyon) ou des substances de synthèse (André Picot).





L’AST : la recherche du « progrès » humain. Selon l’idée que l’on se fait du progrès, la dimension éthique y est incluse ou doit y être ajoutée.


Or il est aisé de constater que ces interrogations proviennent d’un recul sur la science et le progrès, qui les replace dans une vision globale et systémique du monde, selon un processus similaire à celui qui fit émerger l’idée de développement durable il y a deux décennies... Car en effet, au sein de la communauté scientifique, deux conceptions radicalement opposées du progrès se font jour : les uns, tenants d’une vision purement épistémique, considèrent la science comme séparée de ses applications, qui relèveraient exclusivement du politique. Pour eux, en tant que quête de la connaissance, la science est pure et noble ; par suite, ce qui peut être découvert ne doit pas être entravé, et ce qui a besoin d’être découvert le sera un jour. Cela les conduit à défendre des positions technoscientifiques parfois ultralibérales telles que la recherche sur la séquestration du carbone ou le refroidissement de l’atmosphère.

Les autres ont compris que la production des connaissances scientifiques était entrée dans un régime différent : celui des intrications entre connaissance, économie, politique et média. Un régime qualifié de « post académique » par certains sociologues des sciences, où la science n’est pas distincte des intérêts économiques et humains ; où elle sert autant l’armée que les hôpitaux et que toute découverte est porteuse d’autant de risques que d’espoirs, pour l’homme comme pour la biosphère. Des scientifiques prêts à accepter les moratoires et le contrôle éthique de leurs recherches...

Cette nouvelle distinction permet de distinguer deux nouveaux groupes au sein de l’AST, positionnés de part et d’autre de la notion de progrès : les positivistes scientistes et les relativistes prudents. C’est donc cette fois le rapport à la nature et à la société qui détermine le positionnement des acteurs de ce réseau.

relativistes prudents-------------Progrès-------------positivistes scientistes
----------------------------------------------------------------------------->

Deux courants de l’AST distingués par leur rapport à la nature et à la société.


Ainsi, pour l’ERE et pour l’AST, c’est ce qui constitue généralement l’apanage de l’autre (la science et la technologie pour l’AST, la nature et la société pour l’ERE) qui détermine les positionnements des différents courants internes par lesquels elles sont traversées. Et en matière d’AST comme d’ERE, lorsque les courants ainsi influencés s’expriment, les pratiques changent en conséquence et deviennent « responsables ».

L’exemple de la chimie est particulièrement intéressant : alors qu’elle peut permettre de clarifier, par les connaissances qu’elle produit, le positionnement des acteurs de l’ERE à l’égard de leur propre objet d’étude, les préoccupations de ces derniers la forcent en retour à s’interroger sur son rapport à la nature et à la société. Sa communication est ainsi susceptible de bénéficier doublement de la juxtaposition des éclairages de l’AST et de l’ERE. Mieux : en intégrant une réflexion constante sur les relations nature-chimie-technologie-société, elle peut contribuer à montrer la voie de leur rapprochement. Pourtant, nombreux sont les obstacles à cette maturation, comme nous le verrons dans notre prochain billet.

Libellés : , , , , ,

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire

Bonjour. Faites-nous part de vos commentaires. Ces derniers seront modérés, puis publiés. Les meilleurs d'entre eux pourront faire l'objet d'une parution dans l'Actualité Chimique.

Abonnement Publier les commentaires [Atom]

<< Accueil