lundi 30 novembre 2009

Est-ce que lorsque je respire, je pollue ?

Dans le traitement et la compréhension des grandes problématiques environnementales, les chimistes ont à la fois le devoir de contribuer à la réflexion par le partage de leurs connaissances, et un intérêt évident à montrer l’utilité de leurs compétences dans la clarification de mécanismes écologiques qui échappent souvent, de par leur complexité, à la compréhension immédiate des non-scientifiques.

Aussi la question du réchauffement climatique, à la fois sensible et d’actualité, constitue-t-elle pour notre communauté une opportunité de communication intéressante à de multiples égards. La chimie, par sa maîtrise des transformations des composants de l’atmosphère, par sa compréhension des mécanismes du vivant, offre une vue imprenable sur les effets et les transformations du « CO2 », du « CH4 » et du « N2O », ainsi qu’un dispositif de contrôle des usages qui en sont faits. Ah ! Ces journalistes qui confondent CO2 et CO, CO et Co, CO2 et CO2… Heureusement, les chimistes veillent et savent réagir pour rectifier ces vilenies…

Le lecteur assidu de cette chronique aura saisi la tonalité ironique de cette dernière phrase. Car en matière de savoirs utiles au citoyen, rien n’est plus futile et anecdotique que la position des indices et la taille des lettres dans notre alphabet chimique compliqué. A l’inverse, la compréhension du cycle du carbone revêt un intérêt fondamental, notamment pour lui permettre d’adapter son mode de vie en fonction de la perception qu’il a de ses propres émissions de gaz à effet de serre.

Primo Levi lui-même s’y attaché un jour, en contant l’épopée romanesque d’un atome de carbone [i], bien avant l’avènement des questions de changement climatique. Une problématique qui ravive toutefois le besoin de recourir au chimiste pour mieux comprendre, et se rassurer. Car si le CO2 est un gaz à effet de serre, et puisque je sais que ce gaz est exhalé par mon organisme lorsqu’il respire, dois-je en déduire que je contribue quotidiennement au réchauffement climatique et que la suppression de mon jogging quotidien devrait constituer un de ces écogestes que je m’attache à introduire dans mon comportement ?

Apparemment oui, si j’en crois le dernier numéro de l’Actualité Chimique [ii], qui reflète et véhicule une idée reçue relativement courante dans notre communauté. Et pourtant non, si j’y réfléchis un peu. Car dans un premier temps, il faudrait également dans ce cas considérer les émissions de CO2 de l’ensemble de la biomasse terrestre : les humains ne sont pas les seuls à respirer. On commence à percevoir l’erreur de raisonnement : s’il est nécessaire de tenir compte des émissions de l’ensemble des écosystèmes, les contributions anthropiques d’origine fossiles deviennent vite négligeables et on conclut sans conviction que le problème n’existe pas. Alors ?

Adoptons simplement la démarche de Primo Levi. D’où vient l’atome de carbone porté par la molécule de dioxyde de carbone que j’exhale en respirant ? Cette dernière fut assurément transportée par le sang depuis le muscle où elle a été produit par l’oxydation d’un sucre, lui-même apporté par le sang depuis le système digestif après ingestion d’un bon steak tartare, lui-même fabriqué par une vache toute étonnée d’être citée ici à partir de l’herbe d’un gras pâturage... Et cette herbe, où put-elle bien se procurer cet atome de carbone ? Dans le CO2 atmosphérique, temporairement emprunté par le système herbe-vache-blogueur avant d’être restitué à la nature.

Un carbone renouvelable, donc. Si du moins j’ai pris la précaution de retirer l’emballage plastique, issu de substances carbonées fossiles, avant de hacher la viande destinée à mon steak tartare [iii]. Que les chimistes s’investissent dans le débat, voire la polémique, est important. Mais qu’ils s’y égarent faute d’adopter l’approche systémique que nécessitent ces nouvelles problématiques [iv] ne sert ni le débat citoyen qu’ils prétendent clarifier, ni leur réputation de personnes ressources sur ces questions désormais fondamentales.



[i] Levi, P. Le Système périodique. Edition Albin Michel – 1989. Edition originale : Il Sistema Periodico (1975). Voir également le billet « Les vertus du témoignage » ici.
[ii] Rubrique « Polémiques » : Carbone, vous avez dit carbone ? L’actualité Chimique, 334, oct. 2009.
[iii] Qu’en est-il du méthane produit par la digestion des animaux ou les rizières ? Le carbone est là aussi bien renouvelable ; mais abandonnant sa tenue de CO2, il a endossé un habit de CH4, dont le forçage radiatif est 25 fois plus fort. Le système herbe-vache a donc renforcé l’effet de serre.
[iv] Il en va de même lorsqu’ils oublient la notion « d’énergie grise » en affirmant que « les centrales nucléaires n’émettent pas de CO2 ». Le combustible nucléaire n’est-il pas issu de transformations chimiques lourdes et consommatrices d’énergie ?

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