vendredi 15 mai 2009

Top models

Dans notre dernier billet, nous analysions un défaut d’ordre didactique relativement fréquent en matière de communication de la chimie : la confusion dans l’emploi des notions de molécule et de substance. Pour l’illustrer, nous suggérions notamment qu’il était possible de formuler plus adroitement, et de manière moins ambiguë, la proposition : « Les chimistes font réagir des molécules chimiques entre elles pour fabriquer de nouveaux matériaux ». C’est ainsi que certains de nos lecteurs nous ont proposé, à juste raison, de remplacer l’emploi des « molécules chimiques » par des expressions telles que « substances réactives », « réactifs chimiques » ou « composés chimiques ».

Certains, au contraire plus sceptiques, nous ont rétorqué avec étonnement : « Composé chimique et molécule ne sont-ils pourtant pas synonymes ? ». Nous répondrons par la négative, en leur faisant remarquer que les deux termes se placent à des niveaux de description totalement différents : 1/ Les notions de composé moléculaire, de mélange, de substance, de propriété chimique, etc. sont macroscopiques et tangibles ; 2/ Les notions d’atome, de molécule, de site actif, d'orbitale, de couche électronique, de charge partielle, etc. sont microscopiques [i] et le plus souvent abstraits.

Pourquoi les chimistes oublient-ils si facilement cette distinction ? Probablement parce qu’ils sont habitués à expliciter les propriétés macroscopiques de la matière par ses caractéristiques microscopiques, exercice dans lequel ils excellent d’ailleurs. Que l’on songe simplement aux pKa des acides organiques : parce que ce sont des grandeurs thermodynamiques macroscopiques, elles n’ont aucun sens au niveau moléculaire ; les chimistes en explicitent pourtant les différences et variations en comparant les structures des molécules correspondantes.

Non, composé chimique et molécule ne sont pas synonymes. Ils sont parents, ou homologues, mais dans des registres incommensurables, comme le sont le génotype et le phénotype d’un être vivant.

D’autres écueils du même type existent d’ailleurs dans le domaine de la communication de la chimie. Au-delà de l’incessante alternance entre les mondes du réel et de l’abstrait, le scientifique peut en effet être amené à utiliser simultanément différents modèles théoriques pour illustrer une même réalité [ii]. Et de ce fait, son aisance et son habitude de jongler avec eux peuvent là encore l’amener à passer inconsidérément de l’un à l’autre, voire à les mélanger dans son discours. On verra ainsi très souvent, dans un même exposé, les modèles de Bohr ou de Rutherford côtoyer des modèles quantiques de l’atome (figure), sans que le communiquant ne prenne la peine de s’attarder (ou simplement de s’étonner) sur le fait que dans le premier modèle, les électrons qui possèdent l’énergie potentielle la plus élevée sont les plus éloignés du noyau, alors que cette règle est continuellement transgressée dans le second modèle.


Différents modèles de l'atome.
De l’électron 1s et de l’électron 2p, lequel est le plus proche du noyau ?



Cette constatation est vraie pour les modèles, mais elle l’est aussi pour les représentations graphiques et schématiques. Des molécules organiques sont ainsi souvent représentées sur un même document selon des formalismes très variés, mais adaptés au propos du moment : formule « brute » pour la composition de la molécule, formule « semi-développée plane » pour les groupes fonctionnels, formule « spatiale » en représentations de Cram, Newman ou Haworth pour la stéréochimie, formule « en bâtonnets » pour la structure électronique… Là encore, le manque de passerelles entre les différentes représentations est préjudiciable à la compréhension du non-chimiste.

Pour peu qu’on lui en donne les clefs et qu’on lui laisse le temps de se les approprier, ce dernier sera capable de faire le lien entre les différents modèles et représentations qu’on lui propose. Mais cela suppose également qu’on lui indique les transitions entre les différents mondes sous-tendus par ces modèles et qu’on lui montre les chemins qu’il peut emprunter pour y tisser les liens nécessaires à leur véritable compréhension. A ce titre, une vigilance constante de la part du communiquant est de mise, et il va sans dire que limiter le nombre de modèles et de représentations simplifiera dans tous les cas grandement la compréhension des interlocuteurs non-initiés.

Ou, pour reprendre la métaphore du langage du mois dernier, qu’il nous suffise de dire qu’il ne viendrait à l’idée de personne d’enseigner deux langues étrangères en même temps en en mélangeant les outils (c’est-à-dire le vocabulaire) et les conditions d’utilisation (les règles de grammaire)...


[i] La notion de « corps pur », simple ou composé, est à cet égard particulièrement intéressante car elle fait le lien entre ces deux catégories. Elle désigne en effet une substance pure (macroscopique) tout en faisant référence à la nature des molécules (microscopiques) qui la composent.
[ii] Eastes, R.-E. L
es pièges de la médiation scientifique – Propositions de « bonnes pratiques », L’actualité Chimique, Le chimiste et le profane : partager, dialoguer, communiquer, vulgariser, enseigner, n°280-281, nov-déc 2004.

Libellés : , , , , ,

1 commentaires:

Anonymous Anonyme a dit...

tes 2

25 juin 2009 à 06:09  

Enregistrer un commentaire

Bonjour. Faites-nous part de vos commentaires. Ces derniers seront modérés, puis publiés. Les meilleurs d'entre eux pourront faire l'objet d'une parution dans l'Actualité Chimique.

Abonnement Publier les commentaires [Atom]

<< Accueil