vendredi 30 janvier 2009

Gare aux pléonasmes !

Le temps d’un billet, quittons l’analyse philosophique du terme "chimique" pour revenir à des considérations didactiques plus pragmatiques. Il est en effet un défaut particulièrement répandu chez les chimistes, qui conduit à des formulations bizarres, voire nuisibles à la compréhension : la confusion dans l’emploi des notions de "substance" et de "molécule".

Dans un article du numéro spécial de l’Actualité Chimique intitulé Le chimiste et profane, nous évoquions la facilité avec laquelle le scientifique passe du monde réel au monde théorique et abstrait qu’il s’est construit pour l’expliciter. Physique quantique, thermodynamique chimique, calculs menés à l’aide de diverses transformées mathématiques… autant d’exemples illustrant la virtuosité des scientifiques qui jonglent avec les concepts et raisonnent dans le monde de l’abstraction.
Or cette aptitude peut rapidement se muer en défaut lorsque, oubliant de revenir au monde réel, le scientifique s’engage dans une pratique de communication. Dans l’article mentionné plus haut, nous écrivions notamment : "[…] entraîné à jongler avec les faits avérés et les lois élaborées pour en rendre compte, [le scientifique] ne "sent" plus la nécessité d’identifier convenablement les deux aspects, de préciser ce qui relève de la réalité et ce qui est modélisation ou simulation. Ainsi à la question : "Pourquoi les carottes sont-elles oranges ?", il pourra par exemple répondre en termes de niveaux d’énergie dans les polyènes, dont le carotène, responsable de cette couleur, est un représentant. A celle de l’existence d’un état liquide de l’eau salée à - 20 °C, on en a même vu évoquer les potentiels chimiques des phases solide et liquide devant des enfants... Pour le chimiste, le lien semble direct ; mais combien de passerelles entre le monde réel et le monde théorique emprunte-t-il en même temps pour faire ce lien ? En tout état de cause, trop pour le public non initié. En effet, il ne viendrait à personne l’idée d’enseigner les rudiments d’une langue étrangère et dans les minutes qui suivent, de mélanger allègrement les mots des deux langues dans une même phrase…".

L’exemple le plus courant de ce défaut est illustré par l’anecdote suivante. Lors d’une Fête de la Science locale, un doctorant en chimie tente (et c’est tout à son honneur) d’expliquer aux passants les objectifs et les méthodes de la synthèse organique qu’il vient de réaliser. Pour ce faire, il agite un petit tube à essai, bien fermé, contenant quelques centaines de milligrammes d’une certaine poudre blanche. Et lorsque qu’il parle de cette poudre, il évoque "sa molécule".
Cela ne fait pourtant aucun doute : les chimistes manipulent non pas des molécules, mais bien des substances, pures ou mélangées, à l’échelle macroscopique de leurs expérimentations. Mais ce doctorant, à la fois parce qu’il a en tête les étapes mécanistiques de sa synthèse et parce qu’il s’est assuré du degré de pureté de sa poudre blanche, ne peut la voir que sous la forme d’une représentation formelle et symbolique des molécules qui la composent.

Quels sont les risques de cette confusion, en termes de communication ? L’ouvrage Tout est chimie ! déjà évoqué dans les deux billets précédents, nous en donne l’illustration à la page 41 : "[Les chimistes] se servent de [leurs] récipients pour mesurer, peser, faire réagir des molécules chimiques entre elles et fabriquer de nouveaux matériaux". La molécule, en tant que concept de la chimie, est chimique (dans le sens 2 de la classification établie dans le numéro d’octobre-novembre 2008). Les auteurs emploient donc l’adjectif "chimique" pour lui ajouter une dimension supplémentaire : celle de "réactif".

Figure 1 : Tout est chimie ! Une illustration probablement non intentionnelle de la confusion entre substance et molécule.

Ainsi, pour être tombés dans le piège de la confusion entre réel et abstraction, ils laissent deux choix au jeune lecteur : 1/ considérer que l’éditeur a laissé passer une coquille (en l’occurrence un pléonasme) et 2/ imaginer, parce qu’au contraire il lui fait confiance, qu’il existe des molécules "non chimiques"…
Le lecteur saura-t-il nous proposer l’expression par laquelle il aurait fallu remplacer celle de "molécule chimique" pour éviter tous les écueils en même temps ? Nous y reviendrons dans notre prochain billet.

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