samedi 20 décembre 2008

Naturel "et" chimique ?

Dans notre billet du 30 septembre 2008, nous proposions de distinguer différentes « manières d’être chimique » et annoncions que cette clarification nous permettrait de dépasser les difficultés liées aux ambigüités du terme « chimique », elles-mêmes évoquées dans les billets précédents.

Qu’en est-il exactement et dans quelle mesure ces promesses peuvent-elles être tenues ? L’analyse d’un petit livre édité en 2006 par les éditions du Pommier en collaboration avec le CEA, Tout est chimie ! (Joussot-Dubien, C. Rabbe, C. Les minipommes) va nous aider à le préciser. Car il contient, selon nous, autant de bonnes idées (figures) que d’exemples de ces formulations équivoques qu’au fil de nos chroniques nous nous attachons à dénoncer.

Revenons donc à l’expression « Tout est chimique » et à ses variantes, telles que le titre de cet opuscule ou cette phrase que l’on trouve à la page 22 : « Tout n’est-il pas produit chimique ? […] Quand on parle de « produits chimiques », on désigne toutes les molécules qui sont dans les gaz, les liquides ou la matière solide qui nous entourent. ».

« Les produits naturels sont donc chimiques » ajouteraient très certainement les auteurs, à l’instar de nombre de nos collègues. Qu’entendraient-ils par là ? Simplement, et ils n’auraient pas tort, que les produits de la nature sont composés de molécules, pour la plupart identifiées par les chimistes ; que l’ensemble de ces produits appartient donc aux champs de conceptualisation et d’étude de la chimie (les deuxième et troisième niveaux d’appartenance que nous identifiions le mois dernier) ; et qu’à ce titre, on peut les qualifier de « chimiques ». Preuve en est que dans la phrase citée en exergue, le « produit chimique » est défini par la notion de « molécule », c’est-à-dire de manière conceptuelle [i].


Mais comment le non-chimiste perçoit-il, lui, le « produit chimique » ?

Nous l’avons précisé dans le billet du 31 janvier 2008 : comme une substance à la fois « synthétique et réactive ». C’est-à-dire qu’il considère l’adjectif « chimique », parce que c’est ainsi qu’on lui a appris à le faire à l’école, dans le premier sens de notre classification ; et non pas dans le deuxième ou le troisième. Terrible hiatus alors, entre l’auteur du message et son interlocuteur… Et incompréhension de ce dernier, doublée d’une sourde inquiétude, à l’idée qu’il puisse être entouré de « produits chimiques ». Or de cette inquiétude à la défiance, il n’y a qu’un pas. Et voilà que la plus belle entreprise de communication de la chimie risque de se retourner contre les objectifs de son auteur, s’il n’a pas su prendre conscience de ce décalage.

Que faire ? Commencer par réaliser qu’il est moins risqué, en vertu de la prégnance des valeurs naturalistes que nous évoquions dans le billet du 28 avril 2008, d’expliquer en quoi la chimie procure une compréhension de la nature plutôt que de se l’approprier en la qualifiant de chimique. Ce qui amènera par exemple à remplacer l’expression « Tout est chimique » par « La chimie permet de comprendre la structure et les transformations de la matière, qu’elle soit synthétique ou naturelle ».

Alors, l’impérialiste expression de « produit chimique naturel » cèdera la place à celle de « substance naturelle », en levant l’ambigüité du terme « chimique » et sans rien perdre du message, le concept de « substance » véhiculant implicitement l’idée que l’objet dont il est question est à la fois identifié et compris par la chimie.

D’autres prescriptions pourront sans peine être tirées de cette grille d’analyse. En attendant le prochain billet, également inspiré de ce petit livre, le lecteur saura-t-il par exemple prévoir ce qui pourra être dit de la notion de « pollution chimique » ?
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[i] Notons tout de même que, compte tenu de l’incommensurabilité de ces niveaux de description, la formulation est en outre un peu maladroite du point de vue pédagogique.

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1 commentaires:

Anonymous Anonyme a dit...

de Annie T.

Titre en une du journal Le Monde du mardi 25 novembre : " la chimie menace la reproduction humaine " et titre de l'article en page 4 : " la reproduction humaine menacée par la chimie "
L'article est intéressant et dépasse largement le cadre de la chimie ... mais les titres donnent une image de la chimie peu flatteuse ! un lourd défi ...

25 novembre 2008 à 08:30  

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