mardi 30 septembre 2008

Des différentes façons d'être "chimique"

« Mais Papa, c’est ma chaise ! » me dit un matin ma fille de 2 ans ½ qui avait l’habitude de prendre son petit déjeuner sur le siège que je venais de choisir. Voulant profiter de l’occasion pour lui enseigner les premiers rudiments philosophiques relatifs à la notion de propriété, je lui répondis : « Oui, lorsque tu y es assise, c’est la tienne ; mais c’est aussi la mienne, car c’est moi qui l’ai achetée. Et on peut même dire que c’est celle du menuisier qui l’a fabriquée. C’est donc la chaise de plusieurs personnes, mais pour des raisons différente… ».

En m’entendant lui répondre de la sorte, je trouvai soudain la solution à une question qui me résistait depuis des semaines et que nous évoquions dans la chronique du numéro de juin-juillet 2008. « Y aurait-il également plusieurs manières d’être chimique ? ». Car à bien y réfléchir, parce que les chimistes qualifient de « chimique » ce qui relève de la chimie (productions, mais aussi concepts et mécanismes), l’adjectif revêt bien une dimension d’appropriation, instaurant par cet usage une relation d’appartenance à la chimie.

Comme pour la chaise de ma fille, il est alors possible de distinguer plusieurs niveaux caractérisant cette appartenance ; nous en proposons ici trois principaux, chaque nouvelle catégorie élargissant un peu plus l’acception du terme chimique, comme autant de disques concentriques :

1/ Est chimique ce qui est produit par la chimie (substances synthétiques, installations industrielles…) ;

2/ Est chimique ce qui est conceptualisé par la chimie (notions de mole, d’orbitale, nomenclatures...) ;

3/ Est chimique ce qui appartient au champ d’étude et d’interprétation de la chimie (pollution, vie…).

Selon le cadre dans lequel on le considèrera, un même objet, un même concept, pourra donc être chimique… ou ne pas l’être.


Tableau : « Chimique » : trois différents degrés d’appartenance. Ce qui n’est pas chimique dans une catégorie peut l’être dans une autre (l’ozone de la stratosphère n’est pas synthétisé par les chimistes, mais il est conceptualisé par la chimie ; le vin ne peut être défini chimiquement mais la chimie est capable d’en décrire les divers composants, etc.) [i].

Le même traitement peut être appliqué à chaque discipline, en redéfinissant convenablement à chaque fois les différents degrés d’appartenance. « Mathématique », « physique », « biologique », « chimique »… chaque entrée du tableau ci-dessus peut alors être considérée à l’aune de sa position dans les différents disques concentriques disciplinaires, c’est-à-dire de ses degrés d’appartenance aux mathématiques, à la physique, à la biologie ou à la chimie [ii]. Ainsi, si le corps humain est chimique, il est assurément (et entre autres) également biologique et physique, mais pour des raisons différentes (figure).

Figure : L’exemple du cheveu, objet naturel (biologique [iii]) dont on peut étudier la composition (chimique) et qui possède une élasticité (physique) mesurable.

Savoir s’il est plus l’un ou l’autre a peu de sens et peu d’intérêt ; en revanche, savoir « de quelle façon » il est l’un ou l’autre nous semble absolument fondamental pour la pratique de communication de la science en général, et de la chimie en particulier. Nous verrons ainsi prochainement comment il est possible de lever, par cette distinction, la plupart des ambiguïtés que nous avons relevées dans nos chroniques passées.

« Tout est chimique », peut-être… mais comment ?


[i] Ces frontières, qui relèvent de la modélisation que nécessite notre tentative de clarification des sens du mot chimique, sont bien évidemment floues et poreuses. Les cas limites n’en sont d’ailleurs que plus intéressants.
[ii] Pour ce qui concerne le « biologique », la définition du disque central est ambiguë car le sens de l’adjectif a récemment évolué. Il peut être employé à la fois pour parler d’un objet « naturel » (c’est le cas de l’expression "agriculture biologique") et, comme pour la chimie, désigner un objet « construit » par la biologie (un organisme transgénique, par exemple). Nous l’emploierons ici au sens de « naturel ».
[iii] Remarquons d’ailleurs que les autres disciplines sont souvent moins gourmandes que la nôtre : viendrait-il à l’idée d’un mathématicien de qualifier la Terre de « mathématique » sous prétexte qu’elle est (presque) sphérique ? En revanche, et conformément à notre analyse, on parle de pensée philosophique, d’idée politique, de pratique pédagogique, même lorsque ces pensées, idées et pratiques sont profanes et empiriques, et donc pas consciemment produites par les disciplines académiques correspondantes.

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1 commentaires:

Anonymous Anonyme a dit...

Ce post aurait bien plus à Jean Jacques, Confessions d'un chimiste ordinaire.

27 octobre 2008 à 04:55  

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