vendredi 6 juin 2008

« Tout » est chimique ?

Dans deux de nos chroniques précédentes, nous nous amusions à analyser l'usage que se font du mot "chimique" les non chimistes. Mais qu'en est-il des chimistes ? Bien sûr, le chimique, c'est leur rayon ! D'ailleurs, ne cherchez pas et écoutez-les, « tout » est chimique... L'air que vous respirez, le goût de votre café, votre peau, votre organisme tout entier... Tout !

Tout ? Avant de s'interroger comme il se doit sur cette « évidence », commençons tout de même par remarquer avec le didacticien de la chimie Roger Barlet, que les termes chimie et chimiste ne souffrent pas, dans la perception courante de cette discipline, des mêmes a priori que leur cousin "chimique". Il écrit notamment : « Le terme chimie évoque une science positive, créatrice de produits, omniprésente, utile et réparatrice, qui possède un champ scientifique, une pratique et un langage » et « Le terme chimiste évoque une profession honorable et intéressante » [i].

La raison nous en semble relativement simple : les deux premiers termes sont nettement moins ambigus que le troisième. La chimie, bien qu'à la fois science de la nature et industrie, tout autant descriptive de phénomènes naturels que productrice d'objets artificiels, est avant tout une activité humaine bien identifiée : celle qui a trait à l'étude et à l'exploitation de la structure, des propriétés, de la réactivité et des transformations de la matière. Le chimiste quant à lui, est identifié avec encore moins d'ambivalence, tout simplement comme celui qui pratique la chimie, qu'il soit enseignant-chercheur ou industriel.

Hélas, le mot « chimique » est nettement plus difficile à définir et à cerner dans ses multiples sens... "Chimique" qualifie sans aucun doute les produits et les objets de la chimie, les substances artificielles et les molécules de synthèse ; mais désigne-t-il également ce qu'elle se contente de décrire ? Certes le concept de molécule relève indéniablement de la chimie ; mais la molécule d'eau interstellaire, qui n'a pas attendu les chimistes pour exister, peut-elle sans hésitation être qualifiée de chimique ? Et pourquoi les astrophysiciens qui en décèlent la présence par leurs mesures spectrales ne pourraient-ils eux aussi en revendiquer l'attribution ? Certes les mécanismes cérébraux reposent sur des phénomènes physicochimiques de mieux en mieux identifiés, mais la pensée, la conscience, le langage, que certains considèrent comme les propres de l'homme, peuvent-ils pour autant être qualifiés de "chimiques" ? Et si à chacun de ces niveaux, de natures si différentes, la chimie a des choses à dire, est-il possible qu'il existe également différents degrés, différentes manières "d'être chimique" ?

Là pourrait bien résider la clé du problème. Car comme tout concept multiforme, l'adjectif "chimique" est sujet à des interprétations maladroites et fallacieuses, au point même d'en devenir flou dans certaines situations. Or les chimistes eux-mêmes pourraient bien porter la responsabilité de sa fatale ambiguïté. Tout est chimique... Vraiment tout ? Réponse dans la chronique du mois d'octobre.












Tout est chimique ?
Les émanations de méthane issues de l'élevage intensif : une pollution chimique ?
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[i] Barlet R., L'espace épistémologique et didactique de la chimie, L'Actualité Chimique, n°4, avril 1999.

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3 commentaires:

Anonymous Anonyme a dit...

Bonjour !

Bravo pour cet article (je regrette d'ailleurs qu'il soit trop court...) qui pose un des problèmes les plus courants en communication Chimie-néophyte.

Moi-même étant chimiste, je suis pleinement conscient de l'ambigüité faite autour du mot "chimique", qui est, à mon sens, utilisé à tort et à travers sans réflexion préalable... En quoi finalement l'eau de javel serait-elle plus chimique que le venin de la vipère par exemple...

Je pense qu'il faudrait effectivement insister sur le quiproquo (et donc, montrer du doigt la séparation dans le sens des mots) entre "produit chimique de synthèse" et "substance chimique naturelle".

Cette ambigüité étant largement utilisé dans les campagnes marketing des grandes marques pour nous vendre des choses sans produits chimiques... ce qui n'a aucun sens, puisque... "tout est chimique".

24 juin 2008 à 12:26  
Anonymous Anonyme a dit...

Je me réjouis de ce site. Je ne suis pas chimiste mais philosophe et historien des sciences. Sur l'ambigüité du mot "chimique" je crois qu'elle tient en partie au fait que certains technophobes et écolos délirants ont donné à ce mot un sens péjoratif. Faut-il rappeler qu'il existe des "produits chimiques de synthèse" parfaitement inoffensifs et des "substances chimiques naturelles" extrêmement dangereuses.
Ce qu'il faudrait peut-être distinguer c'est la chimie en tant que science et la chimie en tant que technique mais en se souvenant que la seconde n'est pas plus méprisable que la première, que l'homme est par excellence l'être des artifices et que l'humanisation est une technogenèse.
J'ajouterai que la chimie est une très belle science qui nous ouvre à l'intelligibilité du monde. Et si son objet est la matière il ne mérite pas le mépris que certaines formes de spiritualisme professent.
G. Chazal, professeur émérite d'histoire et philosophie des sciences à l'université de Bourgogne.

6 octobre 2008 à 13:15  
Anonymous Anonyme a dit...

Bonjour,
C est avec plaisir que j ai entrelu vos articles , j aime beaucoup le " parlez vous chimique " ! moi meme j ai été formulatrice de produits cosmétiques pendant 12 ans ! actuellement je cherche à changer de métier ( aller vers le marketing ) et je me rends compte que je ne parle pas le meme language ! etre chimiste c est avant tout une histoire d odeur , de toucher , du sens de la matiere avant celle du sens des mots.

24 avril 2009 à 11:51  

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